« Berlin, ligne de fuite. »

Berlin – Les silences visibles

Berlin m’est apparue comme une ville à la fois nue et dissimulée.

Nue dans son architecture brute, ses volumes ouverts, ses pleins et ses vides.

Dissimulée dans ses couches de mémoire, dans ses blessures devenues invisibles, dans sa manière de ne jamais se donner tout à fait.

Je ne suis pas venu ici pour photographier des monuments, ni pour figer une identité urbaine.

Je suis venu pour observer les interstices. Les marges. Les arrière-plans.

Berlin est une ville que l’on regarde souvent en face, mais que j’ai choisi de regarder de biais.

Errance volontaire

Chaque promenade dans ses rues fut une marche sans destination.

Je ne cherchais rien. Et c’est justement dans ce « rien » que quelque chose est apparu.

Des ombres sous un porche. Une grille entre deux bâtiments. Un trottoir que personne ne foule. Une façade aveugle. Des figures humaines à peine esquissées, déjà en train de s’effacer.

Berlin impose un autre rythme. Elle vous oblige à ralentir.

Elle ne cherche pas à séduire. Elle impose sa géographie émotionnelle.

Et c’est dans cette lenteur que mes images sont nées.

Le poids de ce qui n’est plus

À chaque angle, à chaque lumière oblique, je ressentais un vertige.

La sensation que quelque chose était là… et ne l’était plus.

Un événement. Une histoire. Un souvenir. Une douleur.

Rien de visible. Tout est implicite. Comme si les murs se souvenaient. Comme si les pavés contenaient des silences que seul l’appareil photo pouvait traduire.

Mes photos ne cherchent pas à illustrer ce passé.

Elles cherchent à saisir comment il continue d’exister, sous une forme ténue.

Dans un regard absent. Un rideau entrouvert. Une rue vide à midi.

Les géométries de l’absence

Dans cette série, les figures humaines sont rares, souvent minuscules, solitaires, parfois de dos.

Elles ne s’imposent pas : elles habitent.

Elles se laissent traverser par l’espace, ou en sortent déjà.

J’ai photographié ces corps comme on photographie une ombre : non pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle indique.

Les lignes, les structures, les formes architecturales ont pris une place centrale.

Elles sont parfois autoritaires, parfois fracturées.

Leur répétition évoque à la fois l’ordre et l’oubli.

Ce sont elles qui parlent, en silence.

Photographier ce qui reste

Ce que je propose ici, ce n’est pas un portrait de Berlin.

C’est un recueil de sensations, une traversée lente dans un tissu urbain où l’histoire affleure sans jamais s’imposer.

C’est une ville que l’on ne peut pas enfermer dans un cadre fixe.

Mais que l’on peut frôler, effleurer, interroger.

Photographier Berlin, pour moi, c’est photographier ce qui reste :

— Après la chute.

— Après l’histoire.

— Après le passage.

C’est poser le regard non pas sur ce qui est, mais sur ce qui continue d’exister malgré tout.

Conclusion

Cette série est une tentative de dialoguer avec une ville-fantôme.

Pas parce qu’elle serait morte, mais parce qu’elle vit autrement.

Dans ses silences visibles. Dans ses absences pleines.

Dans sa façon de nous rappeler que tout passe, que tout s’efface, mais que certaines empreintes ne disparaissent jamais tout à fait.